Scientic / Milankovitch / Documentation / Le δ18O des glaces polaires : un paléo-thermomètre isotopique

Le δ18O des glaces polaires : un paléo-thermomètre isotopique

Les calottes glaciaires qui recouvrent les pôles sont constituées d'une accumulation de neige déposée années après années et compressée sous son propre poids. Les carottes de glace extraites de certains forages donnent accès à des échantillons de glace issus de précipitations neigeuses dont l'âge dépend de la profondeur de l'échantillon. En certains forages, les glaces les plus profondes ont jusqu'à 800 000 ans.

Il existe plusieurs isotopes stables de l'oxygène dont 16O et 18O qui sont les plus abondants (respectivement 99,8 % et 0,2 %). On les retrouve dans tous les composés oxygénés naturels, notamment l'eau et les carbonates. L'eau (océan, vapeur, pluie, glace, etc.) est constituée essentiellement à partir de l'isotope 16 de l'oxygène qui est le plus répandu.

La notion de delta isotopique

Le δ18O indique la différence entre le rapport 18O / 16O mesuré dans échantillon d'eau et le rapport 18O / 16O moyen des océans actuels (nommé SMOW). Il est exprimé en pour mille et il se calcule selon la formule suivante :

δ18O = 1000 . [(18O/16O)mesuré / (18O/16O)SMOW - 1]

SMOW désigne la composition moyenne de l’océan (Standard Mean Ocean Water), qui vaut : (18O/16O)SMOW = 2005,2.10-6

Lorsque la concentration en 18O de l'eau diminue le δ18O diminue.

Les variations du δ18O

Moyennes mensuelles du δ18O des eaux de précipitation:

D’après Thierry Lhuillier, Jean-Marie Greffion , Licence creative commons version 3.0

Le δ18O varie en fonction de la latitude: plus la latitude est élevée plus le δ18O est faible. Le δ18O varie aussi en fonction du temps (saisons); il est plus faible en janvier qu'en juillet dans l’hémisphère Nord. La variation temporelle s'observe surtout aux hautes latitudes.

Ces variations spatiales et temporelles suggèrent une influence de la température sur le δ18O. Pour tester cette hypothèse il faut mesurer la corrélation entre le δ18O et la température

Étude de la corrélation entre le δ18O et la température

Le dossier temp_18O contient des fichiers xlsx mettant en relation la date, le δ18O mesuré dans l’eau de pluie et la température mesurée , en différents lieux. On peut donc tracer les graphiques suivants : δ18O = f(température) et afficher leurs droites de régression, ainsi que leurs équations et coefficients de corrélation R, pour différents lieux.

En fonction du lieu choisi, il n'existe pas toujours une corrélation entre les valeurs du δ18O des eaux de précipitations et la moyenne mensuelle (ou annuelle) des températures de l'air. La corrélation est forte (les points s'alignent) aux hautes latitudes (Pôles), mais très faibles (mauvais alignement, points dispersés) aux faibles latitudes (Équateur).

AmdermaAscensionKinshasaMurmanskHalley BayBarrow
Latitude+ 69°+ 7°+ 4°+ 68°+ 75°+ 71°
Équationy = 0,29 x - 13,39y = -0,33 x + 8,89y = -0,64 x + 12y = 0,25 x - 12y = 0,43 x - 13y = 0,37 x - 13
Coefficient de corrélation0,75-0,44-0,250,740,930,84

La corrélation observée entre t° et δ18O aux hautes latitudes est une corrélation positive: une augmentation de la température de l'air est corrélée à une augmentation du δ18O des précipitations. Les informations relatives à la notion de δ isotopique et au principe de fractionnement isotopique de l'oxygène, permettent de préciser le sens de la corrélation: c'est l'augmentation de la température de l'air qui induit l'augmentation du δ18O des eaux de précipitations. Une augmentation du δ18O traduit donc une augmentation de la température. Et inversement.

Le fractionnement isotopique 18O 16O

Contrairement aux processus biologiques qui font généralement moins de différence entre les différents isotopes d’un même élément, la différence de masse entre les isotopes affecte les processus physico-chimiques tels que l’évaporation et la précipitation.

Lors de l’évaporation océanique (principalement dans la zone intertropicale), l’oxygène 18 étant plus lourd que l’oxygène 16, il s’évapore moins facilement. Les nuages formés sont alors relativement appauvris en 18O et enrichis en 16O. Leur δ18O diminue donc par rapport à la référence océanique SMOW et devient négatif.

Cependant, la vaporisation de H218O nécessitant davantage d’énergie que celle de H216O, il y a donc davantage de H218O qui s’évapore lors d’une période chaude que lors d’une période froide. Ainsi, le δ18O du nuage en période chaude (au niveau de l’équateur) est plus élevé qu’en période froide.

Au cours du trajet du nuage vers le pôle, les phénomènes de condensations successifs appauvrissent le nuage en 18O (l’H218O plus lourde condense plus facilement, l’eau de pluie est alors relativement enrichie en H218O). Le δ18O du nuage devient de plus en plus négatif. Arrivé au pôle, la neige qui tombe des nuages est très appauvrie en 18O. La glace qui se forme a alors un δ18O très négatif (-40 à -50 pour mille).

Cependant, en période froide, le nuage condense davantage et perd donc davantage d’H218O qu’en période chaude durant son trajet vers le pôle. Ainsi, en période froide, lorsque le nuage arrive au pôle, la neige qui précipite depuis le nuage est davantage appauvrie en H218O qu’en période chaude. Le δ18O de la glace qui se forme à partir de la neige est donc plus faible en période froide qu’en période chaude.

Le fractionnement isotopique de 18O 16O dépend donc de la température :

Application aux droites de Jouzel

Aux hautes latitudes, si on connaît (mesure) le δ18O, on peut alors déterminer la température de l'air au moment de la précipitation grâce à l'équation de la droite de régression. Le δ18O constitue ainsi un thermomètre isotopique.

Les équations des droites de régression varient en fonction de la localisation. L’utilisation du δ18O pour reconstituer les variations paléoclimatiques en un lieu donné nécessite donc d’utiliser l’équation spécifique à ce lieu.

jouzel

Jouzel J., C. Lorius, S. Johnsen and P. Grootes, 1994 : Climate instabilities : Greenland and Antarctic records.
Compte Rendu de l'Académie des Sciences de Paris. vol. t. 319, série II, 65-77

Les équations des droites de régression du graphique de Jouzel sont du type : y = a.x + b c'est à dire δ = a.(Température) + b

Donc: Température = (δ - b) / a

On peut donc mesurer graphiquement cette relation à partir du graphique de Jouzel :

Les carottes de glaces, issues des forages réalisés en Antarctique (pôle Sud) et au Groenland (pôle Nord), donnent accès à des échantillons de glaces anciennes que l'on peut dater (plus la profondeur de la carotte est élevée, plus la glace est âgée) et sur lesquelles on peut mesurer le delta isotopique.

Le dossier ice_18O contient des fichiers xlsx qui mettent en relation, pour différents forages, l’âge de la glace, et le δ18O mesuré:

Connaissant la relation entre la température et le delta isotopique de l'eau (équations des droites de Jouzel à Vostok et à GRIP), on peut alors déterminer la température qui régnait au moment des précipitations à l'origine des échantillons de glace en antarctique et en arctique:

L’analyse spéctrale par transformation de Fourier (FFT) n’est pas adaptée ici car les données dont on dispose ont un intervalle de temps irrégulier. Il est donc préférable d’utiliser le périodogramme de Lomb-Scargle.

L'application de l'équation de la droite de Jouzel montre que la température actuelle en Antarctique est de - 62°, alors qu'il y a 21000 ans lors du dernier minima du δD la température était de -70°. Il y' a 21000 ans la température au dessus de l'antarctique était inférieure de 8°C à la température actuelle. On trouve un écart de 10° C pour le Groenland.

L'analyse du δ18O (ou du δD) des carottes glaciaires met ainsi en évidence sur 400 000 ans (et même jusqu’à 800 000 ans au niveau de certains forages réalisés en Antarctique : EPICA dôme C) une alternance de périodes froides (δ faible) et de périodes chaudes (δ élevé) avec un écart de température d'une dizaine de degrés Celsius. Ces périodes sont approximativement synchrones en Antarctique et au Groenland. Il s'agit donc de changements globaux d'un ou plusieurs paramètres du climat.

L’analyse spectrale montre que cette alternance de périodes "froides" qualifiées de périodes glaciaires, et de période "chaudes" qualifiées de périodes interglaciaires, présente les périodicités approximatives suivantes: 400 000 ans, 100 000 ans , 40 000 ans , 23 000 ans.